La prostitution en Suisse possède une longue histoire, marquée par l’évolution des mœurs et des législations qui ont encadré cette activité au fil du temps. En Suisse, comme dans de nombreux autres pays, la prostitution a longtemps existé sous diverses formes, influencée par les dynamiques économiques, sociales et culturelles. Cet article retrace les grandes étapes de cette pratique, de ses débuts à nos jours.
Les débuts : une tolérance historique
Dès le Moyen Âge, la prostitution était tolérée dans les villes suisses, bien qu’encadrée et surveillée par les autorités. Les prostituées travaillaient souvent dans des maisons closes ou des quartiers spécifiques, et leurs activités étaient soumises à des règles strictes. L’Église, malgré ses condamnations morales, reconnaissait implicitement l’existence de la prostitution, considérée comme un « mal nécessaire » pour contenir d’autres formes de déviance sexuelle.
Durant cette période, certaines villes suisses ont même tenté de réglementer l’activité en octroyant des permis aux prostituées et en imposant des taxes. La présence de la prostitution dans les centres urbains reflétait une volonté de canaliser cette activité dans des espaces contrôlés, souvent en périphérie des centres religieux et civiques.
Du 19ème siècle à la première moitié du 20ème siècle : réglementation accrue
Avec l’industrialisation et l’expansion urbaine au 19ème siècle, la prostitution devint un sujet de plus en plus préoccupant pour les autorités suisses. Les flux migratoires internes et externes, ainsi que les conditions précaires de nombreuses femmes, augmentèrent l’offre dans les grandes villes comme Genève, Zurich et Bâle.
Pendant cette période, la Suisse adopta des législations plus strictes, influencées par des mouvements réformateurs et hygiénistes. Les craintes liées aux maladies sexuellement transmissibles, telles que la syphilis, poussèrent les autorités à réglementer davantage la profession. Les prostituées devaient se soumettre à des contrôles médicaux réguliers, et les maisons closes étaient étroitement surveillées.
Durant la première moitié du 20ème siècle, la Suisse, comme beaucoup de pays européens, adopta une approche ambivalente envers la prostitution. D’un côté, elle restait tolérée dans certaines régions, tandis que d’autres cantons adoptaient des lois répressives, visant à contrôler voire éradiquer la pratique.
Les années 1940-1990 : l’entrée dans la modernité
Après la Seconde Guerre mondiale, la Suisse, tout comme d’autres pays européens, connut une transformation sociale importante. La prostitution continua à exister, mais l’évolution des mentalités et l’émergence du tourisme de masse amenèrent une internationalisation du phénomène. Les grandes villes suisses virent apparaître de plus en plus de travailleurs et travailleuses du sexe venant de l’étranger, notamment d’Europe de l’Est et d’Amérique latine.
Dans les années 1970 et 1980, les mouvements féministes suisses mirent la question de la prostitution sur la table. Certains réclamaient la protection des prostituées en tant que travailleuses vulnérables, tandis que d’autres dénonçaient la prostitution comme une forme d’exploitation de la femme. Ce débat permit d’ouvrir la voie à une reconnaissance des droits des personnes prostituées.
En 1942, la Suisse décriminalisa la prostitution, à condition que celle-ci se pratique dans le respect des lois locales et des règlements spécifiques. Les prostituées étaient dès lors considérées comme des travailleuses indépendantes, et cette approche pragmatique permit de mettre en place des zones réglementées et des horaires spécifiques dans certaines villes. Les maisons closes, pourtant interdites dans plusieurs cantons, firent leur retour sous diverses formes légales.
Depuis 2000 : une profession encadrée, mais sujette à débat
Aujourd’hui, la Suisse se distingue par une législation relativement libérale en matière de prostitution, tout en maintenant un cadre strict pour éviter les dérives. Depuis les années 2000, les lois ont évolué pour mieux encadrer l’activité et protéger les travailleurs et travailleuses du sexe contre l’exploitation et le trafic d’êtres humains.
La prostitution est légale en Suisse, mais réglementée à plusieurs niveaux. Les prostituées doivent s’enregistrer auprès des autorités et payer des impôts sur leurs revenus, ce qui les place dans une position officielle de travailleuses indépendantes. Les cantons disposent également de pouvoirs importants en matière de régulation, imposant des règles concernant les zones de prostitution, les maisons closes, et les horaires de travail. Par exemple, certaines villes comme Zurich ont mis en place des drive-in pour prostituées, des espaces aménagés garantissant à la fois sécurité et discrétion.
Néanmoins, le débat sur la prostitution reste vif. Certains mouvements réclament une meilleure protection des travailleuses du sexe et une lutte plus acharnée contre le trafic humain, tandis que d’autres prônent des approches plus restrictives, inspirées du modèle nordique, qui criminalise les clients mais pas les prostituées. La Suisse, jusqu’à présent, continue d’opter pour une voie intermédiaire, cherchant à protéger les libertés individuelles tout en luttant contre les abus et la criminalité associée.
Conclusion : une histoire en constante évolution
La prostitution en Suisse, bien qu’encadrée, continue de soulever des questions éthiques, sociales et politiques. Si le pays a adopté une approche relativement libérale et pragmatique, la situation des travailleuses du sexe reste précaire dans certains cas, et le débat sur l’équilibre entre liberté individuelle, exploitation et sécurité publique se poursuit. Dans un monde globalisé, la prostitution en Suisse reflète les dynamiques d’une société en mutation, où les enjeux de migration, de droits des femmes et de justice sociale sont plus que jamais d’actualité.